Cet article est basé sur les travaux des Ateliers Mémoire de Roubaix et la plupart des documents sont issus des archives de Madame Edyth Bousquet , fille de cet horloger-bijoutier hors normes : nous les en remercions . Ces ateliers sont remarquables par leur qualités documentaires et pionniers par l’intérêt qu’ils portent aux commerces , les grands oubliés des monographies communales . Nous essayons pour notre part de contribuer à cette branche de l’Histoire avec notre rubrique des horlogers affiliés à Jaz . On y verra aussi un exemple remarquable et détaillé de l’évolution d’un commerce de détail en horlogerie- bijouterie , des origines jusqu’au delà de sa fermeture , comme il y en a tant eu en France au XX° siècle . Enfin , vous le verrez en fin d’article , il nous permet d’éclairer toute une page d’une Jazette de 1946 .
Robert Bousquet voit le jour à Paris en 1909 . Devenu apprenti en horlogerie bijouterie , après ses études il épouse Ludivine Nys , elle même secrétaire sténo dactylo dans un restaurant parisien , en 1930.
Son épouse étant originaire de la rue du Collège à Roubaix , il décide d’ouvrir sa propre bijouterie horlogerie en Février 1932 , au 42 rue de la Vigne , dans un petit commerce qui était auparavant un petit magasin de meubles. Le couple Bousquet – Nys choisit son enseigne en raison de la toponymie de leur rue : Au Carillon de la Vigne .
Ils ont le sens de la communication et offrent le café à tous les visiteurs , en n’omettant pas de bien l’afficher en façade de la boutique . Ils vont jusqu’à fixer un carillon factice géant sur la galerie de sa voiture .
En 1946 , sur leur stand à la Foire Commerciale Internationale de Lille , le couple Bousquet pose sous une rangée de murales électriques , derrière un long carillon en bois . Ils organiseront leur propre Salon du Bijou à Roubaix , cette même année , comme Jaz s’en fera l’écho dans la Jazette n°10 .
Grâce à notre importante banque de données sur l’horlogerie française de gros , réveils et pendules , nous avons réussi à identifier les grande garnitures à droite de leur stand .Nous les attribuons par analogie de style , que confirme des aiguilles et index identiques , à des créations du célèbre artiste Art Déco Roger Mequinion , nouvelle valeur montante des salles des ventes , en revanche l’horloger- fabricant reste encore inconnu .
Le savoir faire professionnel de Robert est reconnu de sa clientèle. Les affaires fonctionnent de façon très satisfaisante, si bien que son jeune frère Henri est appelé en renfort ; il vient l’aider au SAV horlogerie dans la boutique et emménage dans une maison voisine.
Edyth , la fille de Ludivine et de Robert naît en 1952 .D’évidence sa petite boutique n’est plus adaptée à son activité sans cesse croissante . Le café de l’Univers , célèbre à Roubaix , qui se libère sur la Grande Place est une opportunité qu’il ne laisse pas échapper et qu’il investit en 1953 .
Le magasin est installé au rez de chaussée ; au 1° étage sont aménagés bureaux et archives comptables ; au 2° étage se trouve l’atelier d’horlogerie , heureusement desservi par un monte charge .
Le couple conserve son appartement rue de la Vigne , le temps d’aménager le 1° étage du bâtiment de la Grand Place . Ludivine et Robert n’y emménageront que bien plus tard , en 1957 .D’une surface de vente de 95 m2 , la vaste boutique lui permet d’étendre sa gamme d’orfèvrerie , de joaillerie , de cadeaux et d’y joindre les trophées sportifs . Il développe également ses sélections en proposant des montres de marques prestigieuses , comme Lip , Tissot , Seiko , Breitling , Omega , ainsi que des réveils et horloges Jaz .
Dépositaire exclusif des produits Jaeger-LeCoultre , il présente un choix énorme avec 1000 montres exposées dans ses quinze vitrines ! Robert Bousquet reçoit la croix de chevalier de l’Ordre du Mérite Commercial en 1954 .
Le titre de Bijoutier de Roubaix pourrait paraître prétentieux , en fait cela permet juste un petit ambigramme à symétrie axiale ou effet miroir , accentué par une couronne , entre les propres initiales de Robert Bousquet et celles de Bijoutier de Roubaix .
On voit son véhicule stationné devant son magasin et en vignette . Mais il reste modeste dans ses choix puisqu’il choisit une Henry J. par Kaiser qui est une des rares américaines bon marché .
Il crée le « Club du Haut Commerce de Roubaix » qui regroupe les principaux commerçants du centre ville et en devient le président.
Imaginatif , Robert Bousquet créé le concours de l’exactitude , à la fin des années 50 soit 40 ans avant celui de Vedette . Ce concours, réservé aux écoliers de Roubaix, consiste en une rédaction de textes sur l’exactitude . Très populaire auprès des roubaisiens , il est reconduit d’année en année , de 1956 à 1963 . Il distribue lui même des bulletins de participation aux élèves enthousiastes et décore une de ses vitrines aux couleurs de LIP , de son concours et des ses cadeaux comme l’hélicoptère de la Sabena au dessus de l’Atomium du prospectus de l’Exposition Universelle de 1958 à Bruxelles où Jaz sera récompensé de la médaille d’Or ..
Les lots sont nombreux : une montre en or , un livret de Caisse d’Epargne de 10.000 anciens francs , un voyage pour visiter l’usine Lip à Besançon et y rencontrer M. Fred Lip en personne , un déplacement en hélicoptère de la compagnie Sabena à l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1958 et de nombreux autres cadeaux de valeur pour les gagnants suivants.
Bousquet est vice président de la chambre de commerce de Roubaix et membre agréé du Haut Commerce de France; il fait partie de l’Elite des horlogers bijoutiers de France , une création de Paul Nicolas , par ailleurs directeur de Jaz .
En haut : Monsieur Bousquet avec d’autres dirigeants de club sportifs: il était lui même président du lutteur club de Roubaix. En bas : Robert Bousquet à gauche avec des lutteurs sur fond d’horloges murales dans sa boutique
Robert Bousquet avait une qualité rare dans son métier : l’humour , si bien qu’il n’hésite pas un seul instant , lorsque le journal régional , Nord Eclair , lui propose de rédiger un article « Poisson d’Avril » pour les lecteurs du quotidien en avril 1965 .
Le scénario est celui-ci : un bus effectue des manœuvres en marche arrière pour éviter un chantier de travaux mais le moteur s’emballe ; le bus recule très brutalement et vient fracasser la vitrine de la bijouterie , par chance à un endroit qui permet tout de même de bien voir la boutique et ses publicités .Le 1er Avril 1966 , nouveau scénario : quelques mois avant la coupe du monde de football , qui a lieu à Londres cette année là , le trophée Jules-Rimet est dérobé lors d’une exposition à Westminster . Scotland Yard retrouve le précieux objet convoité et décide de l’exposer à la bijouterie R. Bousquet sous haute surveillance policière britannique . La base de l’histoire est vraie mettant toute l’Angleterre est en émoi et Scotland Yard chargé de l’affaire. La chute de l’histoire est plus rocambolesque que le poisson d’Avril de Bousquet : Le 20 mars 1966 , un petit chien nommé Pickles retrouve le précieux objet lors de sa balade nocturne dans un cottage de South Norwood , quartier au sud-est de Londres.
Le petit bâtard noir et blanc est fêté comme un héros et son propriétaire , David Corbett , se voit offrir un billet pour la finale et un an de croquettes ; à droite devant la tombe de Pickles , de nos jours . Voyez cet article du Parisien : l’histoire finit mal pour le chien et la Coupe et ses 3,8 kg d’or , encore volée en 1983 au Brésil , puis jamais retrouvée.
En 1967, toujours dynamique et en avance sur son temps , il prolonge l’ouverture de son magasin en nocturne jusqu’à 21h30 le mercredi , comme la plupart des commerçants du centre ville .Robert est un homme de communication . Lors du salon des arts ménagers , à la foire de Lille, il présente son stand à la célèbre Jacqueline Joubert , speakerine de l’ORTF et mère de Antoine de Caunes . Sur la photo de droite , il fait admirer un de ses bijoux à la chanteuse Jacqueline Boyer , fille des chanteurs Jacques Pills et Lucienne Boyer , qui remporte le Concours Eurovision de la chanson pour la France, avec la chanson Tom Pillibi en 1960 .
Documents archives municipales de Roubaix
En 1971, Robert Bousquet tombe malade , est hospitalisé à la clinique St Jean de Roubaix et part ensuite en convalescence dans le sud de la France . A la fin des années 70 , Max Revel est nommé président du conseil d’administration de la S.A. Bousquet , qui en 1981 dépose une demande de permis de construire pour la transformation du magasin.Les façades vont être rénovées avec des huisseries neuves et des rideaux de fer anti effraction . On notera l’emploi de matériaux luxueux comme la pierre de la carrière de Corton en Côte d’Or , une miroiterie fumée bronze , des peintures laquées noires et des vitrines en acajou verni . Le résultat est magnifique mais a coûté 210.000 francs . Est ce dû à cet investissement de rénovation trop important ou au début d’une situation économique locale difficile ? Toujours est il que le magasin cesse son activité au début des années 90 .
La Griffe d’Or reprend le magasin au milieu des années 90 , altérant l’aspect chic du magasin mais il vrai qu’ il s’agit d’une simple boutique de cadeaux , petits bijoux , montres bas de gamme et listes de mariage . Le succès n’est pas au rendez-vous et le commerce ferme , très peu de temps après son ouverture.
En revanche l’enseigne « Karité » institut de beauté spécialisé en centre de minceur , d’esthétique, de bien-être, de relaxation , qui a repris les lieux en 1998 est toujours en activité de nos jours .
Jazette n°10 Avril 1946 page 4
Ce long préambule nous permet d’éclairer cette dernière page de la Jazette d’Avril 1946 . Nous savons dorénavant qui est cet horloger haut en couleurs qu’est Robert Bousquet , signataire de cette lettre à Paul Nicolas ; La silhouette est donc celle de Yvonne Dys , comédienne, qui aura également une petite carrière télévisuelle et cinématographique , dont on comprend mieux la présence quand on se rend compte qu’elle porte le nom de jeune fille de Madame Bousquet et l’on voit déjà apparaître le frère en gardien de nuit . Ce petit Salon du Bijou à Roubaix , en 1946 , n’a pas marqué les mémoires , pas même l’histoire locale puisque les Ateliers de Mémoire n’en parlent pas . Mais il montre le dynamisme de ce commerçant hors normes qui réussit à faire venir Victor Provo , maire de Roubaix de 1942 à 1977 et futur Sénateur du Nord . Dès son retour de camp de prisonniers en 1940 , il rejoint la Fédération socialiste clandestine du Nord . La Résistance, à laquelle il a immédiatement adhéré, lui demande d’accepter le poste de Maire dont il fait un foyer actif de la clandestinité . Reconduit à ce poste par les instances de la Résistance à son poste de maire en 1945 , il se présentait donc le lendemain de l’inauguration du salon pour la première fois devant les électeurs : preuve que rien ne résistait à ce Bousquet , même pas les grands résistants .
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