
Tous les ans à la même période en octobre, la France recule ses montres d’une heure: à III heures du matin, il est II heures et inversement en mars, on avance d’une heure.
Ce changement est devenu une habitude. Pourtant, si l’on voulait vraiment vivre calés sur le soleil, on retarderait son horloge non pas d’une mais de deux heures. On devrait passer de cinq à sept. Parce que cela fait 73 ans que nous vivons en décalage avec le soleil, à cause des Allemands et… de la SNCF!
Sans doute, avez vous entendu parler de la loi de Godwin, règle empirique définit par l’avocat américain Mike Godwin, notion proche du« reductio ad hitlerum » (« réduction à Hitler ») du philosophe Léo Strauss, et par extension du point Godwin, qui serait le moment où, dans un débat, les adversaires s’injurient ou caricaturent grossièrement les positions de l’autre en faisant allusion à l’Allemagne nazie, toute discussion constructive devenant alors impossible. Rassurez-vous, je ne l’ai point déjà atteint, cet hypothétique point, dès l’introduction de cet article sur le changement d’heure mais les nazis ne sont pas un détail de l’histoire horlogère de la Seconde Guerre mondiale.

Comme aurait souhaité le faire le Führer, s’il vous arrive de traverser la Manche, que ce soit par au dessus ou par en dessous, ou bien à la nage mais c’est une autre paire de manches, vous avez constaté que le fuseau horaire de la France est UTC+1. En langage ordinaire, qu’il est une heure plus tard en France qu’en Angleterre, l’heure de Londres étant désignée comme l’heure universelle. En langage technique, ça donne UTC (Temps Universel Coordonné) ou GMT (Temps Moyen de Greenwich). Pourtant, Paris et Londres ne sont séparés que de deux petits degrés de longitude et le méridien de Greenwich, qui coupe l’Angleterre, traverse aussi tout l’ouest de la France. D’ailleurs, ce décalage horaire n’a pas toujours existé puisqu’avant l’Occupation, la France et l’Angleterre étaient à la même heure.

Dans Suite Française, film de 2014 récemment rediffusé, on voit dès l’arrivée des troupes allemandes dans le village, un soldat allemand perché sur son blindé changer l’heure sur la façade d’un immeuble comme nous venons de le faire ce week-end, puis un officier de la Wehrmacht modifier d’autorité l’heure dans la maison bourgeoise où il occupe – décidemment! – une chambre réquisitionnée.

Lorsque les troupes allemandes occupent la France en juin 1940, nous sommes alors à l’heure d’été (GMT+1), en vigueur en France entre mars et octobre comme on le pratiquait depuis 1923. Le reste de l’année, la France est à GMT 0.
Sauf qu’à Berlin, il est une heure plus tard et que les Allemands qui arrivent en France ne comptent pas bouleverser leurs habitudes: «La première chose qu’ils font, dans la première demi-journée, c’est de changer l’heure», explique l’historienne Cécile Desprairies, auteure de L’héritage de Vichy, ces 100 mesures toujours en vigueur, parmi lesquelles on compte encore l’accouchement sous X, la fête du Travail, la cantine d’entreprise, le sport au bac, les comités d’entreprise, la médecine du travail, le certificat prénuptial, le salaire minimum, l’Ordre des médecins, etc.



Y a-t il meilleur moyen de marquer, et son territoire et les esprits, que d’imposer son propre rythme à une nation? Que d’être le maître de ses horloges?
«Le couvre-feu sonne à dix heures du soir, il fait encore très clair, puisque c’est l’heure allemande, à laquelle nous avons mis nos montres dès notre arrivée, et qu’elle avance d’une heure sur notre ancienne heure d’été. Voici les jours les plus longs de l’année.» témoigne un prisonnier français

Dans tous les territoires occupés, on avance donc ses aiguilles d’une heure, de GMT+1 à GMT+2, pour passer à l’heure d’été allemande puisqu’outre-Rhin, on change aussi d’heure deux fois par an. La France se retrouve donc «à l’heure allemande».

Au début de l’Occupation, la France se retrouve donc scindée en deux par la ligne de démarcation, mais aussi par le décalage horaire: Paris en zone occupée a une heure d’avance sur Vichy en zone dite libre. Ce qui pose quelques problèmes à la SNCF, les trains venant de la zone non-occupée continuent de circuler avec une heure de retard dans la zone occupée, les trains venant de la zone occupée continuent d’attendre une heure supplémentaire à la ligne de démarcation, tout cela bien entendu bouleversant les correspondances.

Pour mettre fin aux problèmes de retard, c’est donc la toute jeune SNCF qui propose au gouvernement de Vichy de s’aligner lui aussi sur l’heure allemande. Un décret du 16 février 1941 avance l’heure légale de deux heures dans les territoires non-occupés, d’une heure dans les territoires occupés. En termes alphanumériques, cela veut dire que l’ensemble de la France passe à GMT+2. L’alternance entre les heures allemandes d’hiver et d’été continue ensuite pendant toute la durée de la guerre.

Notons que la France n’est pas le seul pays à avoir changé son heure légale pendant la Seconde Guerre mondiale: l’Angleterre nous a suivi pendant la guerre, mais a fait marche arrière après la Libération. En 1940, les Pays-Bas ont eux aussi dû avancer leur montre, de 40 minutes pour s’aligner sur son envahissant voisin. Suite à l’invasion nippone, la Malaisie a été contrainte d’avancer ses horloges d’une heure et demie en 1942.

Le cas le plus semblable au nôtre est celui de l’Espagne, qui avance d’une heure sous Franco en 1942 pour s’aligner sur l’Allemagne, quasiment la seule concession accordée par El Caudillo. En septembre 2013, le pays a d’ailleurs fait part de son envie de repasser à l’heure anglaise. Puisque l’Espagne n’est pas en retard sur nous en matière de Comité Théodule, ils ont créé une pimpante Commission Nationale pour la Rationalisation des Horaires, dont le Président a affirmé sans rire que ce décalage horaire nuit à l’économie du pays et mine la santé des Espagnols, qui ne dorment pas assez la nuit et sont obligés de faire la sieste le jour. En somme, ils sont obligés par Hitler et Franco de faire un somme. Le gouvernement de Mariano Rajoy avait promis de s’intéresser à la question. À la bonne heure! Mais le jour, le mois ou l’année, on ne les connaît pas.

A la Libération, un décret prévoit que l’heure d’été, ou «heure allemande», ou GMT+2, va être supprimée en deux temps, mais pas en deux temps trois mouvements. La France repasse d’abord à GMT +1 toute l’année, et envisage de repasser plus tard à GMT. Mais un deuxième décret annule cette étape, pour des raisons que nous ignorons. Comme l’explique Cécile Desprairies, notre spécialiste de Vichy «c’était un peu le bazar. Peut-être que c’était par souci d’économie, parce qu’il y avait le pays à reconstruire».

En 1976, le président Valéry Giscard d’Estaing, né le 02/02/1926, à 21h30 heure allemande, dans la ville de Koblenz occupée par nos troupes laquelle vivait donc à l’heure française, rétablit l’heure d’été (GMT+2) afin de réduire la consommation énergétique du pays suite à la première crise pétrolière. «Ça a été très mal vécu, raconte Cécile Desprairies. Il y a presque 40 ans, ceux qui avaient connu l’Occupation étaient encore jeunes, ça a provoqué un véritable tollé.» Pourtant ce choix permettra aussi de bénéficier du radio pilotage des réveils et horloges depuis Francfort.
Cette expression rentrera dans le langage courant au point de fournir le titre du premier roman de l’écrivain et futur critique de cinéma Jean-Louis Bory, Mon village à l’heure allemande, prix Goncourt 1946. La parution de ce roman et son titre ont établi l’expression « à l’heure allemande » dans le langage quotidien mais aussi universitaire pour définir la vie quotidienne française sous l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale, si bien qu’elle squatte les titres d’ouvrages sur l’Occupation.
Paradoxalement, le prix Goncourt sera, littéralement et littérairement, mortel pour l’adorable et sensible Bory qui ne réussira jamais à en assumer l’énorme succès, avec ses 300 000 exemplaires vendus, ses ouvrages ultérieurs ne rencontrant pas le même accueil .« Ce n’est pas tout d’avoir le prix Goncourt, le tout c’est de se le faire pardonner, et je vous assure que c’est assez coton » citation de Jean Louis Bory qui se suicide par arme à feu, peu après, le 11 Juin 1979.
En résumé, pour être plus clair: de 1940 à 1945, la France vivait à moitié puis entièrement à l’heure allemande; de 1945 à 1976, elle était à l’heure allemande l’hiver, mais pas l’été. Depuis 1976, nous sommes à nouveau entièrement à l’heure allemande, été comme hiver.
L’HEURE EST POLITIQUE et POLITIQUE DE L’HEURE Les fuseaux horaires et changements d’heures sont des leviers de politiques intérieure et extérieure puissants, qu’on peut modifier pour différentes raisons.


Déjà en 1917, les occupants d’outre-rhin l’avait compris pour la Belgique et les territoires français envahis. Une Bruxelloise témoigna dans l’entre deux guerres: Parmi les vexations qu’ils nous firent subir, nos despotes nous imposèrent l’heure allemande. Nous ne l’adoptâmes jamais. Néanmoins à Bruxelles, les horloges publiques devaient l’indiquer. Cette mesure inspira une petite chanson où il était dit qu’en avançant l’heure, l’ennemi ne parviendrait qu’à hâter d’une heure le moment de notre victoire !


Le fuseau horaire peut aussi être un enjeu de cohésion nationale, en particulier pour les pays les plus « larges » sur une planisphère. La Russie, par exemple, couvre 11 fuseaux horaires. Mais elle a brièvement tenté d’en supprimer deux pour passer à 9 fuseaux horaires. En 2010, le président Medvedev pensait ainsi rapprocher les Russes, mais il a surtout provoqué une vague de mécontentement. D’où un retour aux 11 fuseaux horaires et à l’heure d’hiver permanente en 2014 sous Poutine.

Situation inverse en Inde ou en Chine, où malgré l’étendue de leurs immenses territoires, tout le monde est sur le même fuseau horaire. Pour la Chine c’est GMT 8 alors que le pays est étalé sur 5 fuseaux. Pour les chinois les plus à l’ouest, le soleil se lève et se couche donc cinq heures plus tard que pour ceux de l’est. Le continent indien comprend 270 langues maternelles, dont 122 langues importantes, quand la Chine parle officiellement le mandarin avec 850 millions de locuteurs, mais doit aussi composer avec le wu, le cantonais, le min, le jin, le xiang, le hakka, le gan, le hui et le ping. Voulez-vous vraiment rajouter à ce melting pot linguistique la complexité des fuseaux horaires ou opter, comme le Yuan ou la Roupie, pour une monnaie et un horaire unifiés qui simplifient les échanges intérieurs?

L’Australie a coupé la poire en cinq entre unité du territoire et « heure ressentie » par les habitants: le pays s’étale sur trois fuseaux horaires mais avec des décalages réduits entre chaque « tranche » : GMT 8 à l’ouest, GMT 9,5 au centre, GMT 10 à l’est. Les terribles incendies, qui ont frappés le pays des koalas, trouvent probablement leurs origines dans les cerveaux ou les calculettes qui se sont enflammés en cherchant à estimer le décalage horaire d’une région à l’autre en base 60 avec des distances exprimées en système impérial à base de pieds et de pouces, en tenant compte des deux états du sud-est du continent qui pratiquent l’heure d’été et pas les trois autres.
Techniquement deux territoires ne sont sur aucun fuseau horaire ou plutôt sur tous et pour cause: l’Antarctique et l’Arctique qui sont situés aux pôles. Cela ne les empêche pas d’être partagés entre différents pays, qui eux ont des heures bien précises. Traditionnellement, les stations scientifiques font au plus simple, surtout au plus vital, puisqu’elles se calent sur le fuseau horaire de leur base de ravitaillement et pas celle de la mère patrie. Ainsi la base américaine Amundsen-Scott applique l’heure de la station McMurdo, sur le fuseau horaire de la Nouvelle-Zélande à GMT +12 et pas celle de son pays d’origine, les États-Unis à GMT-8 soit 20 heures de décalage avec les USA .

Les fuseaux ont beaucoup varié en Corée , le pays du matin calme, ou censé l’être. En 1905, les Japonais colonisent la Grande Corée et lui impose sa propre heure en 1912 « Les impérialistes japonais occupaient notre pays avec leurs militaires et ont pillé notre territoire et nos biens, et aussi commis le crime de changer l’heure standard dans notre pays »

La partition de la Corée en deux entités antagonistes ne va pas simplifier la donne. En 1954, la Corée du Sud change d’heure pour marquer sa rupture avec le Japon, se retrouvant donc en décalage avec le Nord, mais revient sur sa décision sept ans plus tard en 1961 se trouvant donc de nouveau raccord avec son remuant voisin du Nord.
En 2015 pour marquer le 70e anniversaire de la libération de la péninsule coréenne du règne colonial japonais, la Corée du Nord adopte la nouvelle « heure de Pyongyang » qui est donc l’ancienne heure coréenne mais plus celle de la Corée du Sud. Vous suivez toujours? Bonne nouvelle pour ceux qui commencent à vaciller: les coréens ne pratiquent pas les changements d’heures d’été ou d’hiver.

Mais Kim Jong-Un a dit qu’il avait trouvé « déchirant » de voir, lors d’un sommet bilatéral, deux horloges murales qui donnaient deux heures différentes, celle du Sud et celle du Nord, sans rappeler que c’était de son fait si les heures différaient de nouveau depuis trois ans.
En Corée du Nord, tout dépend du dirigeant suprême Kim Jong-Un, qui entre autres titres ronflants est grand successeur de la cause révolutionnaire, chef remarquable du parti et du peuple, génie des génies, Maréchal de la République populaire démocratique et commandant suprême de l’Armée mais aussi Grand soleil du XXIe siècle: il est donc l’heure lui-même et décide des fuseaux horaires, évidemment.

En conséquence le Nord change encore d’heure en 2018 pour s’aligner avec le Sud, et le Japon par la même occasion, qui vivent sur le même fuseau horaire: 9 heures de plus que l’horaire du Méridien de Greenwich, près de trois ans après avoir imposé ce décalage, justement pour prendre de la distance avec l’heure japonaise « impérialiste ». Un geste symbolique mais pas anodin assurément.

Cela a ressemblé à un passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été, mais les Nord-Coréens ne devront a priori le faire qu’une seule fois: à Pyongyang tout le monde a fait avancer sa montre d’une demi-heure, pour passer à l’heure de Séoul. C’est l’une des mesures symboliques du régime nord-coréen, même s’il paraît ironique de parler de régime avec le dodu Kim Jong-Un. Signes de bonne volonté comme la fin des haut-parleurs dressés de part et d’autre de la frontière, qui diffusaient à tue-tête et constamment la propagande des deux camps pour convaincre les lapins, seuls occupants de la zone frontière démilitarisée.





Si les potentats nord-coréens sont en retard politiquement, ils ne perdent pas le Nord et doivent être bien bien à l’heure. Selon le décompte de la très pointilleuse et fiable Fédération de l’Industrie Horlogère Suisse qui se base sur les bordereaux d’exportation, l’entourage du père du Grand Leader, le fort regretté et regrettable Kim Jon-il, lui avait acheté pas moins de 94 montres à l’occasion de son 70ème et dernier anniversaire. Un nombre modeste par rapport à 2009 avec ses 662 montres et 449 montres en 2008 précise le quotidien sud-coréen The Korean Times, mais en général papa dictateur apparaissait poignet nu.

Son fils, bien plus show off , s’affiche avec autant de somptueuses montres suisses qu’un général coréen peut accrocher de médailles sur son uniforme.
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