
Mais pourquoi le temps est il divisé en 12, ou plutôt 24 heures, et les secondes en 60 et les mois en 12 ? Donc en base sexagésimale ? Rien de sale, c’est le nom scientifique de la base 60. Ne serait il pas plus simple de tout diviser en base 10 comme le reste de nos calculs ? Après tout nous avons dix doigts et quoi de plus facile que de compter sur ses doigts? Justement, c’est exactement ce que les sumériens et les babyloniens, les premiers compteurs et les premiers conteurs, ont fait. Mais mieux que nous !

Effectivement il se servait du pouce de la main droite pour compter en les touchant, non pas les autres doigts, mais les douze autres phalanges de cette même main, la main gauche servant à faire les retenues ce qui nous porte à 60 ! Sur les marchés vietnamiens on peut encore admirer les vendeurs faire défiler leur pouce à toute vitesse de la main droite sur leurs phalanges, tandis que la main gauche additionne les douzaines d’œufs. Effectivement c’est bien là l’origine de notre douzaine d’huitres, d’escargots ou d’œufs .

On sait qu’au moyen âge, lorsqu’on se rendait chez le volailler, il comptait avec une seule main chaque œuf supplémentaire déposé au fond de son panier tenu dans l’autre main : tout simplement. D’ailleurs cette base 60 est encore utilisée dans les campagnes en Inde, Indochine, Pakistan, Afghanistan, Égypte, Syrie, Turquie, Iran, Irak.

Mais alors pourquoi n’a t on pas continué à utiliser les 12 et les 60 divisions comme le faisaient les celtes? Parce que les romains nous ont conquis. Toutefois les romains comptaient tout d’abord en base cinq, ou plutôt V, mais ils ont aussi conquis l’Egypte qui employait la base 10, système décimal qui a conquis les mathématiciens grecs et romains. Pas si fous ces romains. Pour l’anecdote les mayas et les gaulois utilisaient le système vigésimal, à savoir un système en base 20 qui utilise l’ensemble des doigts des mains et des pieds. Il reste d’ailleurs des traces de ces nombres dans notre langue avec le nombre « quatre-vingts ».

Mais pourquoi , plutôt que des chiffres arabes, des chiffres romains apparaissent si fréquemment sur nos réveils et pendules? Ainsi Jaz a commercialisé au moins 437 cadrans de ce type entre 1921 et 1984 soit un tiers de sa production. Parce que c’est la tradition et que c’est plus « beau » : on ne compte ni les dynasties, ni les siècles, ni les rois autrement : Louis 14? Benoît 16 ? Sacrilège ! Et puisqu’on a évoqué à l’instant les chiffres arabes, rappelons qu’en langue arabe on les appelle chiffres indiens. De quoi y perdre son latin…


Mais pourquoi en horlogerie le 4 peut être écrit IIII plutôt que IV? Je ne vais pas convoquer les étrusques, ancêtres des romains, qui l’écrivaient ainsi, mais tout simplement suggérer des raisons esthétiques. L’écriture IIII crée une symétrie harmonieuse avec le VIII sur le côté opposé de la sphère. Pour la même raison qu’à 9 heure on trouve IX et non pas VIIII . Comparez ci-dessus sur ces cadrans .


Un des principaux apports de la Révolution Française dans le quotidien des citoyens sera l’adoption du système métrique. Comme ailleurs en Europe, les anciens poids et mesures en France trouvaient leur origine dans un système utilisé par les Romains, qui avait muté en une myriade de systèmes locaux. Les savants des Lumières étaient confrontés à la réforme d’un salmigondis de 800 unités de mesure différentes, allant de la toise à la lieue en passant par le quart et la pinte. Certaines unités de mesures étaient extravagantes: dans le Bordeaux du début du XVIIIe siècle, une unité de terre était définie par la portée de la voix d’un homme ! Valait mieux avoir une grande gueule pour être propriétaire terrien. Il y avait très peu, voire pas du tout, de standardisation : ainsi à Paris, une pinte équivalait à 0,93 litre tandis qu’ à Saint-Denis, elle valait 1,46 litre. Une aune, utilisée pour mesurer le tissu, était basée sur la largeur des métiers à tisser de chaque région et variait énormément. Ce système chaotique était sujet à la fraude et étouffait le commerce intérieur et extérieur.

Une première proposition, très jacobine, fut d’imposer les standards parisiens au reste de la nation. Mais pour Talleyrand cela semblait une ligne de base arbitraire et pour les savants une approche non scientifique. Ils espéraient que le système décimal serait adopté par les autres nations pour harmoniser les sciences et le commerce international. Effectivement la métrification est de nos jours quasi universelle. Sur notre continent on sait peu que le Brexit devait s’accompagner d’un retour au système impérial, abandonné dans les années 70, avec ses pieds, ses pouces, ses perches, ses lieues, etc. Le populiste Boris Johnson ayant déjà autorisé le retour des pintes dans les pubs. En décembre 2023 le gouvernement britannique a tout de même renoncé à cette absurdité nombriliste.

Mais alors pourquoi compte-t-on encore les heures, minutes et secondes sur la base d’un système sexagésimal, tout comme les mois de l’année, alors que le calcul des poids et mesures est décimalisé ? C’est du moins ce que pensaient, avec une certaine cohérence, les Français au lendemain de la Révolution de 1789. Calcul des angles, coordonnées géographiques, mesure du temps, la rupture était annoncée. Si, de nos jours, la réforme de l’heure est quasi oubliée, celle du calendrier est restée fameuse en raison de la sonorité et la poésie puissante des noms imaginés par Fabre d’Églantine : Pluviôse, Floréal, Vendémiaire, etc.
Par décret du 5 octobre 1793, promulgué le 24 novembre de la même année, soit le Quartidi Frimaire de l’An II, jour des nèfles (cela ne s’invente pas : fruits et légumes remplaçaient les saints ) , est établit en France le calendrier républicain basé sur le système décimal. Son point de départ est rétroactivement fixé au 22 septembre 1792, jour de la proclamation de la République et date de l’équinoxe d’automne. Ainsi, l’année sera dorénavant composée de dix mois égaux de trente jours, aux noms inspirés du climat et des saisons, auxquels s’ajoutent cinq jours consacrés aux fêtes républicaines, les « sans-culottides « . Après un cycle de quatre ans, soit une franciade, une sixième sans-cullotide s’ajoute à la fin de l’année afin que le calendrier républicain s’accorde avec les mouvements célestes. Vous suivez toujours ? Moi difficilement , et la France ne suivra guère abandonnant le calendrier révolutionnaire par décret napoléonien le I° Janvier 1806.
Une journée de 10 heures
La Révolution est pensée par ses protagonistes comme le point zéro de l’histoire et marque ainsi une cassure entre le temps ancien et le temps nouveau, comme César avait imposé le calendrier julien, le Pape Grégoire XIII le calendrier grégorien et Mahomet le calendrier hégirien. Toutefois les exigences de la vie quotidienne, l’importance du commerce extérieur et l’impossibilité de modifier les montres existantes auront raison de cette initiative.

Le même décret du 5 octobre 1793 qui avait imposé le calendrier républicain prescrit l’heure décimale. La journée de vingt-quatre heures est désormais divisée en dix heures de cent minutes chacune, elles-mêmes divisées en cent secondes.
Un décret du 9 février 1794 organise un concours pour que savants et horlogers apportent des solutions pratiques, mais cadrans solaires, montres et horloges fabriquées selon les nouvelles normes resteront peu nombreux. Jamais entrée dans les mœurs, l’heure décimale est suspendue dès le 7 avril 1795, soit seulement 500 jours après son application, mais officiellement pour une durée indéterminée, donc dix ans avant l’abandon du calendrier républicain moins complexe à appliquer.

Les horlogers pris à la gorge
A une époque où l’on vous raccourcit pour moins que cela, inutile de dire que les horlogers se sont conformés progressivement à ces nouvelles directives, dotant leurs montres et pendules de cadrans indiquant les noms des jours de la décade, les quantièmes et les noms des mois républicains. Entre 1793 et 1796, les cadrans des montres et des horloges se transforment : aux heures duodécimales et leurs divisions sexagésimales s’ajoutent les divisions décimales du temps. Une double numérotation permet au public de mieux se familiariser avec la nouvelle heure.


Une grande variété d’indications apparaît ainsi sur les cadrans des montres décimales. Par exemple sur des cercles concentriques, les mêmes aiguilles indiquent soit les 5 heures correspondantes aux 12 heures d’un demi-jour, soit les 10 heures correspondantes aux 24 heures (2 x 12 heures) d’une journée. Seuls quelques horlogers comme Louis Berthoud, Robert Robin, Pierre-Basile Lepaute ou Antide Janvier parviendront à construire des chronomètres ou des pendules entièrement décimaux, destinés à des mesures et des observations scientifiques
Retour raté

A la fin du XX° siècle, le projet sera une nouvelle fois mis sur le tapis par les scientifiques lors de grandes conférences telles que la Conférence générale de l’Association géodésique internationale en 1883 à Rome, la Conférence internationale sur l’uniformisation des longitudes et de l’heure de 1884 à Washington ou encore lors du Congrès international de chronométrie tenu à l’Observatoire de Paris en 1900. La préoccupation principale de tous les promoteurs de l’heure décimale est de mettre en concordance directe les divisions du temps et de la circonférence de la Terre qui avait déterminé le mètre comme étalon. Un concours international d’appareils d’horlogerie gradués selon le système décimal sera même organisé en 1898 auquel participent plus de vingt horlogers. Vu l’ampleur des changements requis, l’heure décimale va vivre sa seconde mort.
Un autre facteur déterminant était la nécessité de modifier non seulement les cadrans de toutes les horloges, pendules et montres existantes mais aussi une partie des rouages internes des mécanismes, modification financièrement et culturellement inenvisageable.

1 lire l’heure décimale sur le cadran , s’en souvenir
2 retirer votre montre
3 la retourner
4 consulter la table de conversion gravée au dos
5 calculer l’heure duodécimale à l’aide de cette table
6 remettre la montre
7 vous avez raté votre avion …


Dans Metropolis ( 1927) , le chef d’œuvre expressionniste de Fritz Lang l’horloge est décimale sans aucune référence à la Révolution Française , au contraire , c’est une division tayloriste du temps en dix heures de travail par jour .
Horloges du bicentenaire de la Révolution Française 1989


Loin de nous le souhait d’offrir un panorama, même succinct, du flot indécent de productions opportunistes diffusées par les marchands du Temple ( pas celui de Jérusalem , la prison de Louis XVI évidemment ) au moment du bicentenaire en 1989. Nous devons hélas reconnaître que Jaz y a succombé et pas pour le meilleur.





L’Épée 1989, horloge du Bicentenaire de la Révolution. Cette luxueuse production se distingue des productions indigentes du moment. Corps de pendule en laiton massif poli et vernis à la main . Verres bombés , biseautés et façonnés à la main . Cadran émaillé au four à chiffres romains . Index annuel en fenêtre rectangulaire à III heures dans le cadran . Décor « feuilles de chêne » moulé à la cire perdue, poli et verni à la main . Porte échappement plaqué or 18 carats . Mouvement mécanique 8 jours et sonnerie . Hauteur 33 cm ; Pendule signée Alain Morales & Georges Schmitz de la maison L’Épée

En revanche notre Révolution est à l’origine de l’essor de l’horlogerie française, et même suisse, avec l’adoption en 1791 de la loi Le Chapellier qui abolit les corporations de métiers d’ancien régime et la promulgation de la liberté de cultes lesquels est enfin ouvert l’accès pour tous aux métiers liés à la mécanique, y compris pour les israélites et les protestants. Les anciennes provinces françaises qui entouraient la Suisse et une partie de celle-ci sont transformées en départements français en 1790, ceux-ci en profitent pour détaxer certains métiers comme l’horlogerie de façon à attirer les ouvriers qualifiés, en vue de relancer l’économie. Ainsi de nombreux horlogers ont pu s’installer dans le Jura, la Savoie (territoire qui ne devient français qu’en 1860) ou l’Isère, pour produire à moindre coût et vendre aussi bien en France qu’en Suisse, où la haute horlogerie est particulièrement présente depuis la folle et coupable révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV .

Si l’horlogerie devient synonyme d’art et de sciences au milieu du XVIIème siècle grâce au perfectionnement des techniques, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 sera un véritable fléau pour l’excellence horlogère française. En effet, avant cette date la France, et plus précisément la Bourgogne-Franche-Comté, était le véritable berceau de l’horlogerie européenne. Avec la révocation de l’Édit de Nantes, le culte protestant est alors interdit, les temples sont détruits et de nombreux artisans comme les horlogers et les joaillers sont alors contraints à l’exil. On assiste alors à une émigration massive vers la Suisse des horlogers Français protestants, emportant avec eux leur savoir et leurs secrets de fabrication. Les conséquences seront désastreuses pour la France qui voit fuir une foule d’artisans mais aussi de professeurs talentueux au grand profit de la Confédération Helvétique.
